Avec la sortie récente du bouquin Décalages, créé par l’association Écrire le sport et ayant pour fil conducteur la culture foot, je suis allé à la rencontre des Outsiders Krew qui ont participé, tout comme une quinzaine d’auteurs, à sa réalisation. Supporters du Stade Malherbe de Caen et membres de longue date du MNK96, Seb Toussaint et Spag nous parlent aujourd’hui à La Buvette, du Stade Michel-d’Ornano, de leur ville, de leur collectif artistique et de leur dernier projet en cours « Share the word ».
Pour commencer, quels sont exactement vos rapports avec les Malherbe Normandy Kop (MNK96) ?
Seb Toussaint: Je suis l’un des capos du MNK depuis 2006 et Spag est l’un des photographes du groupe depuis 2006 également.
Comment cette passion du foot vous est venue et comment êtes-vous rentrés au MNK96 ?
Nous avons toujours été passionnés de football, on jouait au foot dans la cour de l’école, puis on a commencé à aller au stade étant gamins, et à l’adolescence on a commencé à se rapprocher du MNK96. C’était à une époque où le jeu était vraiment médiocre, et pendant les 7 ans de D2, il n’y avait rien d’autre à faire que de chanter dans le kop. C’était des années sympa, on a fait connaissance avec du monde et on a appris à célébrer les corners comme si c’étaient des buts. On fréquentait déjà la tribune depuis des années lorsqu’on est entré au MNK96 il y a une douzaine d’années.
Les MNK fête cette année leurs 20 ans, quel est votre souvenir le plus marquant au sein du groupe ?
Il y en a de trop… Une finale de coupe de ligue perdue, la création du tifo des 10 ans du groupe, d’innombrable montés et descentes si bien que dans nos têtes tout est brouillé, on ne sais plus en quelle année on jouait dans quelle division. Mais l’événement le plus marquant que l’on va vivre en tant que supporter du Stade Malherbe, ça sera dans le futur ! C’est pour ça qu’on sera toujours là !
Vous continuez d’aller à d’Ornano aujourd’hui ? Peut-être participez-vous toujours à la préparation/réalisation des tifos ?
Oui bien sur, nous sommes toujours abonnés dans le kop, et cartés MNK96, nous prenons part à la vie du groupe, et je suis également capo. Il est impossible pour nous d’être présent tout l’année car nous voyageons beaucoup, mais dès qu’on est à Caen, on est forcément là en tribune et au local.
Quelle est l’origine des Outsiders Krew ? Quelle est sa philosophie ?
Outsiders Krew est avant tout un duo artistique composé de Spag, 28 ans, principalement photographe et vidéaste, et puis moi, Seb Toussaint, 27 ans, principalement graffeur/peintre. Ensuite quand on se déplace dans différents bidonvilles, on essaye de faire venir avec nous une troisième personne pour aider, et à chaque fois on a pris quelqu’un du MNK96, des gens que l’on connait bien et depuis des années, avec qui on a déjà bossé sur des tifos. Enfin, toute la musique de nos vidéos est faite par Theo Davies, un jeune musicien qui bosse en Angleterre, membre du MNK96 depuis qu’il à 8 ans. On ne recrute qu’en interne!
A ce sujet vous venez de prendre part à la réalisation du bouquin Décalages dans une rubrique intitulée « Dans le sens des tribunes », pouvez-vous nous en dire plus sur cette participation ? Comment s’est monté le projet ? Quel rôle y jouez vous exactement ?
Les éditeurs de Décalages nous ont contacté avec une idée. Ils suivent notre projet “Share The Word” et savent que l’on est actif en tribune. Il voulait que l’on raconte notre histoire et comment ces choses là sont liés. Donc pour une fois, on a pas écrit sur des murs mais dans un bouquin. C’est certes moins coloré que d’habitude, mais tout aussi cool à lire je pense.
Moins en lien avec le football, vous avez commencé en 2013 votre projet « Share the word ». On voit que le graffiti permet de tisser des liens dans des quartiers défavorisés de pays en développement. Dites nous en plus sur ce projet.
En 2011-2012, on est parti faire un tour du monde en vélo à 3: Spag, moi et un troisième, également carté MNK96. Cette expérience nous a donné beaucoup d’idées, nous a appris énormément sur le monde comme sur nous même. On a eu l’occasion de faire de l’art au long de la route et de peindre dans des endroits très différents. Suite à cette expérience, et à force de parler entre nous, on a trouvé une idée toute simple: de peindre sur les murs de bidonvilles, des mots que les gens choisissent. Le but étant dans un premier temps d’apporter de la couleur dans des lieux qui en sont souvent dépourvu, mais surtout d’attirer l’attention sur des communautés marginalisées. Depuis 2013, nous avons mené ce projet dans des bidonvilles d’Indonésie, Kenya, Népal, Colombie, Egypte, Philippines et Ethiopie.
Lors de votre passage en Ethiopie vous avez aussi réalisé une énorme oeuvre sur toute la tribune du terrain de foot d’un bidonville. C’est important pour vous d’essayer de lier graffiti et football ? Un bon moyen de lier vos deux passions ?
On a même peint sur tout le stade, les 3 tribunes plus un muret derrière un des buts. C’est en allant jouer au foot après une dure journée de peinture que nous nous sommes dit qu’il faudrait vraiment qu’on peigne le stade. Ça a demandé un travail fou car il a fallu retirer la terre, les mauvaises herbes et surtout les excréments qui se trouvait dans une certaine partie du stade. A cause du faible nombre de toilettes dans le bidonville, les habitants ont pris l’habitude de faire leur besoin dans un coin du stade. Et puis il a fallu étaler 250 litres de peinture, ce qui nous a pris au total 12 jours. Evidemment, pour nous qui avons appris à faire de l’art en créant des tifos, c’était génial de pouvoir faire quelque chose qui ressemble un peu à un tifo permanent. Les habitants du bidonville ont beaucoup apprécié notre travail dans le stade. C’est un lieu important pour eux, à la fois pour jouer au football, mais aussi car c’est le seul espace ouvert dans un bidonville de presque 100 000 personnes.
Abdis Ababa / Ethiopie
Jakarta, Nairobi, Kathmandu, Bogota, le Caire, ça doit vous changer des déplacements avec le Stade Malherbe de Caen ?
On va dire que c’est beaucoup plus exotique que Guingamp ou Créteil, mais on a l’espoir qu’une fois dans nos vies, nous aurons l’occasion de faire un déplacement à l’étranger avec le Stade Malherbe. En 1993, lorsqu’on a joué notre seul et unique match de coupe d’Europe contre Saragosse, on n’avait que 5 ans, donc on l’a loupé… Mais sur les 60 prochaines années, on est capable de choper une place en Europa League sur un coup de chance!
Avez-vous d’autres projets à venir ? Plus en lien avec le football peut-être ?
On ne parle jamais de nos projets à venir.
Que pensez-vous du football en France, côté tribunes ?
On vit une époque difficile où modernisation rime avec répression. Il n’y a qu’à voir le nombre de supporters interdits de stade en ce moment, ou le nombre de déplacements interdits cette saison. C’est dommage, il y a des exemples à l’étranger, notamment en Allemagne où il y a plus de dialogue entre les supporters et les autorités, et où on essaye de trouver des solutions pragmatiques à des problèmes. Surement que tout n’est pas parfait chez eux non plus, mais au moins ils se donnent la peine d’essayer de se mettre d’accord.
Jakarta / Indonésie
Kathmandu / Nepal
Nairobi / Kenya
Bogota / Colombie
Manila / Philippines
Cairo / Egypte